Vive la vie - François-Marie Banier
VIVE LA VIE Vive la Vie Vive la Vie On devrait se le dire tous les jours. Pour soi d’abord, et pour ceux, celles que nous rencontrons. Pour l’air que l’on respire. Pour le ciel. Pour la terre. Pour la chair. La chère personne que l’on aime, qui vous protège, qui est là, ou morte, pour les mortels, mais nous ne sommes pas mortels puisque partis, soit disant, j’ai écrit soit disant pour toujours, ils, elles guident nos pas et nos amours. Il n’y a donc pas qu’une seule et lamentable, ou pas, réalité. Non, non, non. Il n’y a pas que ce qu’on voit, à plat, millimétré, photographié, même si la photographie permet de montrer la face cachée des choses. Les êtres n’étant pas des choses, leurs profils sont innombrables. Et pas seulement leurs aspects, leurs dimensions mais leurs résonnances. Quand Picasso, Braque, et Gris ont découvert, après Cézanne, le cubisme, (là je me perds un peu, j’ai jamais été fort pour les démonstrations) la représentation de la face cachée du sujet et de ce qu’il y a en nous et dans l’air, ce qui donne à l’image, quand on additionne toutes ces données, dont la peinture, la photo, s’employaient à effacer les traces, l’émotion, la subtilité, la vérité ont gagné sur les pesanteurs de la représentation conventionnelle, académique, chiante, mortelle. J’ai peu de place pour dire l’essentiel. Comme d’habitude j’ai voulu démontrer. C’est con. En deux mots : un visage, une image, ce n’est jamais simple. Dire ce qu’il y a derrière. Je ne le peux, je ne suis pas juge et Leica non plus. L’invention de Niépce et Daguerre n’a pas apporté toute la lumière sur la photographie. Manque toujours sur chaque chose, chaque être, ce que j’appellerai le deuxième regard. Celui qui tue, par l’ennui que l’on éprouve alors, ou par la joie qui vous donne envie d’ajouter quelque chose. Sur une image fixe, à part nos larmes, car le temps a passé, et nos rires qui ne s’inscrivent nulle part, hormis le trait, les mots, la couleur, qu’est-ce qui peut ramener le mouvement de la vie ? C’est cette vie que barbouillent ma délicate main et le sauvage autrefois qui font rire, et pleurer. Comme c’était mieux avant qu’il (il c’est moi) n’y foute ses mots et plein de dessins et de peinture. Le mouvement c’est Diane qui l’a créé en me demandant de rencontrer Natalya. Natalia à la beauté légendaire. J’ai d’abord dit non, je dis non comme les Français, je le suis à moitié, hongrois pour l’autre moitié, peuple courageux et plein de sentiments. Et j’ai rencontré, toujours poussé par Diane cette sublime jeune femme à la voix couleur d’un fleuve qui ressemblait à la Seine au bord de laquelle nous nous sommes rendus par un jour pluvieux, elle vêtue d’une robe de Diane, la belle Diane, moi de rien, d’aucun préjugé, d’aucune idée de ce que serait la photographie. Nous étions sous la pluie, nous nous sommes plus, un poète en ferait toute une histoire plus belle que ce dessin, et dans (elle est mariée) sur le lit de Diane nous avons recommencé à New York et sur le sol en moquette zèbre de son bureau atelier. Les robes changeaient, s’ouvraient, se refermaient, tournaient, virevoltaient, j’enviais le don de Diane, celui d’enchanter par des couleurs, des astuces, une coupe, la fluidité, et de savoir donner le réconfort et la joie. A la maison je me retrouve avec les images de Natalya, Natalia qui a retrouvé sa vie, Diane est à New York à faire ses robes, la mode et à Paris seul dans mon atelier ce visage et cette personnalité si forte du modèle. Et cette mode que j’aime parce qu’elle signifie autre chose que le plaisir d’être belle. Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant d’une femme que j’aime qui n’est jamais la même et m’aime et me comprend. Je crois que c’est à peu près ça le vers de Verlaine. Et qu’est-ce qu’une œuvre ? Une vie parallèle, infinie, éternelle que renouvelle chacun par le regard qu’il y porte, regard qui l’enrichit comme le trait que je jette, la tache ou le dessin qui se fait. Pas d’œuvre sans la transposition, les dimensions que seule la mémoire, c’est à dire le cœur permet. Mesdames, ne jetez pas vos robes ne serait-ce que pour la musique du cintre sur leur portant quand vous les ferez glisser en vous disant, avec émoi : Diane.

Vive la vie

par François-Marie Banier


Ce texte a été écrit par François-Marie Banier à l’occasion de la sortie de son livre Vive la vie chez Steidl en 2008.

Photo: Natalia Vodianova, par François-Marie Banier