François-Marie Banier Marie-Laure de Noaille 1969-1970 - François-Marie Banier
Ma vie ressemble d’un bout à l’autre à ma rencontre avec Marie Laure. Nous sommes en novembre 1966. J’ai dix-neuf ans, j’en parais seize. Je marche derrière ma mère dans la grande salle du palais Galliera, où le Pen Club réunit chaque année des écrivains qui signent leurs livres. Ma mère cherche André Maurois, qui a fait allusion à moi dans un article des Nouvelles littéraires. Un instant, la foule nous empêche d’avancer. Une dame assise à une table derrière quelques exemplaires de son livre me fait signe d’approcher. « Madame, je suis désolé mais je ne peux pas vous l’acheter. J’ai dix francs d’argent de poche par semaine. — Qui te parle de l’acheter ? Je t’en fais cadeau. Il y a des choses qui peuvent t’intéresser. Comment t’appelles-tu ? » Sans me quitter des yeux, elle saisit un exemplaire de Journal d’un peintre et inscrit sur la page de titre : « À François-Marie Banier auquel son visage portera bonheur. » Je file rejoindre ma mère, qui me gronde, sous sa capeline rose : « eh bien bravo ! Sais-tu qui c’est ? Marie-Laure de Noailles. Elle n’est pas reçue par la princesse de Broglie. Moi non plus. » Nous avons souvent ri, Marie Laure et moi, de la réprimande maternelle, jusqu’au jour où chez moi, Journal d’un peintre m’est tombé d’une étagère sur la tête. Je m’en suis emparé sans l’ouvrir, j’ai foncé place des États-Unis et tout fier je l’ai montré à Marie Laure. Hélas, je ne l’avais pas coupé. Elle raye d’un trait sa dédicace et la remplace par ces mots : « Les pages qui ne coupent pas les pages n’auront ni page ni donzelle. »

François-Marie Banier Marie-Laure de Noaille 1969-1970

par François-Marie Banier


Ce texte a été écrit par François-Marie Banier, publié à l’occasion de la sortie du catalogue de son exposition personnelle qui a lieu à la Villa Noailles à Hyères du 15 octobre 2020 au 29 janvier 2021.

Photo: Marie-Laure de Noailles, parc de Bagatelle, Paris, juin 1969 par François-Marie Banier