Grandes Chaleurs
Au Maroc de l'autre côté
Je me suis retrouvé immédiatement dans les images que propose François-Marie Banier dans ce livre. Dès le premier coup d’œil, la première image. Ces gens en évasion, c’est moi. Ce Maroc d’à côté, invisible pour certains, c’est aussi moi. Et pourtant, je ne peux pas prétendre avoir le même regard que Banier sur les choses, les êtres. Sur le Maroc. Pour quelle raison alors j’aime ces photographies? Qu’est-ce qui me touche et provoque cette identification instantanée? Et que fait Banier au milieu de ce monde a priori étranger pour lui?
Sur le chemin pour rencontrer François-Marie Banier pour la première fois, deux images de lui me revenaient à l’esprit et s’imposaient fortement à moi. Deux révélations. La première est celle de Samuel Beckett en short sur la plage de Tanger avec, non loin de lui, un petit garçon qui joue au ballon. Deux êtres qui marchent dans la même direction dans une ville où les frontières sont depuis longtemps brouillées. Un immense écrivain dans ses pensées. Un petit Tangérois dans son jeu à lui. Deux solitudes sous le soleil et la promesse d’une rencontre qui finira un jour par avoir lieu, dans la vie, dans les livres. La deuxième image montre Isabelle Adjani qui déroule l’agrandissement d’un portrait de son père. Il était algérien kabyle et s’appelait Mohamed Charif. Et quand on le découvre, jeune, sublime, romanesque, on comprend d’où vient l’exceptionnelle beauté de la star Isabelle Adjani. Il est mort dans les années 80. Adjani le montre enfin et Banier saisit cet instant bouleversant. Une fille et son père ensemble. Fierté, réconciliation, retour aux origines.
Dans ces deux photographies on est à chaque fois de l’autre côté, des frontières, d’une idée fixe, d’une image cliché. De la réalité. L’Irlande. Paris. Tanger. La Kabylie. La mer. Le ciel. [...]
Extrait du texte Au Maroc de l'autre côté par Abdellah Taïa